vendredi 8 juillet 2016

Guy Goffette Entre l'encre et les étoiles


                                       I

         J'ai dit toutes les paroles que je savais, toutes.
         J'ai prononcé ton nom pour moi et pour

         ce que nous avons été ensemble, ce grand corps
         balancé entre la mer promise et la terre d'habitude

         à chercher une route vivante et qui parle pour nous.
         Mais nous avons épuisé l'eau du désert avant même

         que le soleil nous touche les lèvres, et cet hiver
         qui n'en finissait pas de tendre ses pièges

         entre nos bras, nous l'avons assez poursuivi
         pour savoir qu'il séparait nos traces

         et nous perdait dans la neige des jours.
         À présent, face à face, nous attendons la nuit.

         Je dis des mots qui ne passent pas par ma gorge
         et toi, tu redemandes un café très fort

         pour changer la couleur des larmes.

         in Petits riens pour jours absolus, La couleur des larmes, Gallimard, 2016, p.p.83/84

                             
                                        II

          Ce que je voulais toujours avec toi, c'est partir
                        et que la terre recommence

          sous un autre jour, avec une herbe encore nubile,
                         un soleil qui n'appuie pas trop
   
          sur le cœur et puis du bleu tout autour comme
                          un chagrin qui se serait lavé

          les yeux dans un reste d'enfance, et que le temps
                          s'arrête comme quand tout

          allait de soi, tout, quand partir n'était encore
                          qu'une autre façon de rester

          comme l'eau dans la rivière, les mots dans le poème
                          et moi, toujours en partance

          entre l'encre et les étoiles, à rebrousser sans fin
                          le chemin de tes larmes.

          ibid p.85

Ces deux poèmes sont extraits du dernier recueil du poète belge, Guy Goffette, Petits riens pour jours absolus, paru en mai dernier chez Gallimard.
J'en aime la fluidité de ton et cette alliance du quotidien et de l'absolu, portée par de sublimes images qui parlent d'amour même si celui-ci est appelé à se défaire.

Ils sont suivi d'un hommage à sa mère et à son père de la même veine, qui exige de poursuivre la route.

                                      PASSANT

         Ne te retourne pas comme la femme de Loth
         les pas te sont comptés aussi près que le souffle

         qui te mène poète dans la cage du vers
         sur deux notes ou trois peut-être, mais le merle

         a-t-il une autre échelle pour porter le matin
         sous ton masque de chair? Ne te retourne pas

         l'air est chargé du sel de nos vaines douleurs, va
         dans le vent qui passe et laisse mourir les morts.

         ibid p.88

À l'approche de la septantaine, Guy Goffette, fait le point entre petits riens et jours absolus.
Après avoir été un enseignant, il a consacré toute sa vie à l'écriture, de la poésie au roman.  Devenu Membre du comité de lecture de Gallimard, il a dirigé les collections Enfance et Poésie et Folio Junior, en poésie.

Et voici comment, au terme d'une vie, son habituel feutre mou, complice de son humour, lui sauvera la mise.

                                     TANGO

          Quand il ne restera plus de moi
          que ce vieux chapeau noir sur la table
          où seras-tu mon bel amour
                          parmi les roses

          qui vont mourir ce tantôt, et
          parmi les oiseaux dans le couchant
          des blés où nous endormions de caresses
                          et de baisers longs

         la colère des vents, où seras-tu ?
         sinon dans les bras du vieux danseur
         dont l'ombre tourne sur l'affiche,
                        toi seule en piste

         serrant contre ton cœur mon feutre mou.

         ibid p.91

Dans ce même livre, on peut lire dans Portrait de Max Jacob en accordéon, un poème, rédigé en 2012 comme une confession, que chaque poète pourrait faire sienne.


         ÉLOGE DE ROBERT FROST, MON VOISIN

         J'ai cru longtemps comme toi qu'il suffisait de toucher
         le bois d'une table pour marcher avec la forêt,

         de caresser le galbe d'une statue pour donner
         un corps tout neuf à l'amour, de croquer

         un fruit vert pour que s'ouvre à nouveau
         le jardin de l'enfance et que la mer appareille

         qui était blanche comme tout ce qui endure
         sans parler le feu des longs désirs.

                                                                 J'ignorais

         que là où l'enfant peut entrer de plain-pied
         un mur se dresse que le temps a bâti

         avec nos cœurs aveugles, avides, nos belles
         promesses, nos serments de papier,

         et c'est celui-là même où nos rêves se brisent
         que tu défais, poète, pierre après pierre,

         avec des mots de rien, des mots de peu
         que les pluies ont lavés, les silences taillés

         comme un diamant dans la lumière des jours.

         in Petits riens pour jours absolus, Portrait de Max Jacob en accordéon, p.p.37/38

( Robert Frost est un poète américain, né à San Francisco en 1874 et mort à Boston en 1963.)

Ces mots de peu sont à l'évidence ceux qui nourrissent notre quotidien et nous aident à vivre.

 "La poésie est un état, une façon d'être, une manière de voir le monde, de l'attraper par le paletot" disait Guy Goffette, lors d'une rencontre.
Il ajoutait : "la poésie c'est du temps gagné, elle se ressent, elle est l'expression la plus intime de soi. Je considère les enfants comme des maîtres, ils se laissent enchanter par les mots, des mots qu'ils ne comprennent pas".

Abordons la et retrouvons nos cœurs d'enfant pour en jouir pleinement quand elle se présente.

Bibliographie :
  • Petits riens pour jours absolus, Gallimard 2016

sur internet :






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