Entre deux
Où serons-nous quand ces fleurs deviendront fruits
dans l'étroit entre deux, où la fleur n'est plus une fleur
et le fruit n'est pas encore un fruit. Quel merveilleux
entre deux
nous formions l'un pour l'autre, entre nos corps,
entre nos yeux, entre l'éveil et le sommeil.
Entre chien et loup, ni jour ni nuit.
Ta robe de printemps a pris si vite
les couleurs de l'été, elle flotte déjà
à la brise de l'automne.
Ma voix n'est plus ma voix
mais déjà, presque prophétie.
Quel merveilleux entre deux nous étions, comme la terre
entre les fissures du mur, brin de terre têtue
sous la mousse vivace, le câprier épineux
dont les fruits âpres
rendaient plus doux ce que nous mangions ensemble.
Voici les derniers jours des livres
avant que viennent les derniers jours des mots.
Vienne le jour où tu comprendras.
in Le baiser de la poésie,
Choix et traduction de l'hébreu par Michel Eckhard Elial, dans un numéro hors-série de la
Revue Levant, 2012, p.12.
Les poèmes d'amour de Yehuda Amichaï (1924-2000) précèdent ceux de Ronny Someck, son confrère, dans ce beau numéro hors-série, acheté à Sète.
Heureuse découverte d'un poète dont la sensualité n'a d'égal que l'amour, qui court entre les lignes et donne sa saveur à l'instant.
Tes yeux sont de paisibles bouches
ta bouche sous la surface de la mer
ton visage est du sable qui tremble.
Tirant les cheveux,
tu attires les jours et les mots
vers ce que d'autres temps
auraient appelé une maison.
Jamais plus est aussi
une éternité,
mon goût,
ma part d'éternité.
ibid p.14
On peut se réjouir longtemps, et bien au delà de la séparation ou de la mort, du bonheur d'avoir vécu un véritable amour. Chaque mot se pose, tel un onguent sur nos blessures.
J'ai lissé tes cheveux dans le sens du voyage
et dans ta chair j'ai touché la prophétie.
J'ai touché ta main, jamais endormie,
et ta bouche qui peut encore chanter.
Le sable du désert recouvrait la table,
où nous n'avons pas mangé,
mais où mes doigts ont écrit
les lettres de ton nom.
ibid p.15
Toute la magie du souvenir murmure, ici, à tendre voix entre les lignes.
Cadeaux d'amour
À ton oreille, à tes doigts,
j'ai mis de l'or,
l'or pour le temps, sur ton poignet.
J'ai fixé beaucoup de brillants
pour que tu glisses dans le vent
en tintant doucement
au dessus de mon sommeil.
Je t'ai régalée de pommes,
pour que nous nous roulions,
comme dans le Poème,
sur un lit de pommes rouges.
J'ai caressé ta peau d'un tissu rose
aussi transparent qu'un petit lézard,
ses yeux sont un diamant noir
dans les nuits d'été.
Tu m'as permis de vivre quelques mois
sans autre besoin de religion
ni de vision du monde.
Tu mas donné un ouvre-lettres d'argent
mais de telles lettres ne s'ouvrent pas,
on les déchire, elles se déchirent.
ibid p.16
Et le poète conclut par ces mots l'évocation de sa vie amoureuse :
(...)
Nous avons continué la prophétie : conversation à deux, robe d'été, linge accroché à une corde,
rebord de fenêtre. Et nous continuerons, nous continuerons, nous serons orgueil et humilité,
nous serons le temps qu'il fait, nous serons les saisons de l'année. Nous serons.
ibid p.17
Je vous engage vivement à ouvrir le lien indiqué plus bas pour accéder à un bel article d'Esprits Nomades à propos de l'auteur.
Bibliographie :
- Le baiser de la poésie, 24 poèmes d'amour de Yehuda Amichaï et Ronny Someck, choix et traduction de l'hébreu par Michel Eckhard Elial, éditions Levant 2012.
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